jacksimpleman

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Terrorists win

Hier, avant-hier, avant-avant-hier, j’ai assisté, avec mes amis, mes collègues, Paris, l’Île de France, la France, l’Europe et le monde, à un attentat au siège de Charlie Hebdo.

Récit :

Mercredi matin, le Charlie Hebdo sort en kiosque, comme chaque semaine. Cette première semaine d’année 2015, ils y vont fort en provoquant les intégristes, avec ce qui semble être un terroriste portant une kalachnikov AK-47 qui dans une bulle dit “Attendez ! On a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses voeux…”, paroles qui répondent à un constat fait juste au dessus du personnage “Toujours pas d’attentats en France”, le tout caricaturé par Charb, feu rédacteur en chef du canard.

Onze heure de ce matin là, deux hommes débarquent d’une Citroën C3 devant le siège situé dans le 11ème arrondissement de Paris, armés d’une kalachnikov AK-47 et d’un lance-roquettes. Entrent dans le batiment, se dirigent méthodiquement vers uune liste de personnes qu’ils avaient du préparer, tuent ces dix, puis s’en repartent en faisant deux victimes collatérales.

Ils s’éloignent vers Porte de Pantin, et la police perd plus ou moins leurs traces.

Vers midi, mon colocataire me demande si je ne suis pas l’un des tueurs de Charlie Hebdo, je ne comprend pas ce qu’il dit puis vais sur Twitter, pour voir en Trending Topics le hashtag #CharlieHebdo, puis mon fil d’actualité pleine de tweets de dégouts et de condoléances et de tristesse et d’accompagnement aux victimes que je ne connaissais pas encore alors.
Je m’inprègne de tous ces tweets qui relatent les évènements, ces gens qui expriment leurs compassions petit à petit, pour faire naître ce gros buzz au slogan “Je suis Charlie”, ce hashtag #jesuischarlie, cette image “Je suis Charlie”, ce monochrome noir qui sous entend “Je suis Charlie”.

Je suis comme dans un état de choc, je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être que j’ai une sensibilité un peu plus accrue depuis que je suis revenu d’un stage de méditation quelques jours plus tôt. Peut-être que parce que c’est arrivé beaucoup plus proche de moi, à quelques kilomètres, dans la même ville, en comparaison aux évènements du même genre à Toulouse, ou Marseille ou ailleurs dans le monde. Peut-être que j’ai ressenti une sorte de bouleversement dans le schéma de pensée des gens. Peut-être que je pense qu’il y a quelque chose de plus grand derrière cette histoire qui est en train de se dérouler. Peut-être que.

Au bureau, on en parle un peu. Pas trop de réactions. Je ne sais pas à quoi je devais m’attendre. Une explosion de rage, d’indignation ? Oui, c’est ce que je voulais voir, un moment de révolte au moins, à la place, je n’ai vu que des gens moyennement choqués, qui n’ont fait que lire les infos, sans trop réagir en fait. Une réaction de ma voisine de bureau très peu intelligente bureau qui lance lapidairement “mektoub”, ce qui signifie “c’est le destin”, elle a raison et en même temps, je la déteste parce qu’elle n’a pas l’air de comprendre ce qu’il se passe. Etrangère, elle semble éloigné des évènements français, même si ça fait quelques années qu’elle vit en France. Je lui explique, je lui montre les vidéos, je lui raconte qui sont les gens morts. Elle semble un peu comprendre mais reste loin de tout ça.

En face de moi, mon autre collègue plus vif d’esprit a l’air surpris aussi, sans non plus montrer ses sentiments. C’est sans doute la réaction qu’il aurait fallu avoir en premier lieu. Ne pas se laisser déborder par ses sentiments.

Suite du récit :

Jeudi, les deux hommes sont toujours en fuite, recherchés par toute la police française. Ils font route vers Reims, leur ville d’habitation.

Au même moment, un autre incident survient dans le sud de Paris, à Montrouge. Un homme enclanche une fusillade et tue une policière.

Le midi, une minute de silence qui a été respecté est organisée partout en France.

On reste coi et interdit face à toute cette très soudaine extrême violence en France. Les tweets se déversent de plus belle, les posts Facebook abondent encore plus, tous les réseaux sociaux ne parlent plus que de ça, à part quelques personnes qui se taisent ou ont programmés des posts n’ayant rien à voir les semaines d’avant l’évènement.

Je suis toujours dans l’expectative. Dans l’attente de voir comment tout ça se déroulera, tout ça se terminera.

Je commence, enfin le premier jour déjà, à excécrer ces gens qui balancent des #jesuischarlie, ces gens qui pleurent les caricaturistes, les gens qui se disent anti-censure, alors qu’on sait qu’avant cela, rien de tout ils ne représentaient rien de tout ça. Ca dégouline de bons sentiments, ça me remplit d’une aigreur profonde.

Presque fin du récit des deux tueurs :

Vendredi, les deux tueurs tentent de revenir à Paris, après avoir fait une escale dans un Quick pour se restaurer un peu. Ils sont toujours poursuivis par la police. D’ailleurs, ils ne finissent pas leur chemin, puisqu’ils se retrouvent coincés dans le nord ouest de Paris, dans une imprimerie à Dammartin-en-Goële où ils sont encerclés par les forces de l’ordre.

Pendant ce temps, l’autre tueur de policière est aussi encerclé par la police à l’est de Paris. Il se réfugie dans un supermarché kacher à l’est de Paris, prend des otages et demande la libération des deux terroristes de Charlie Hebdo. La police force le passage. Des otages sont tués. Le preneur d’otage aussi.

De l’autre côté, les deux fuyards sont aussi tués.

Résolution très peu satisfaisante pour moi et pour des milliers de personnes, qui voulaient savoir la raison de toute cette barbarie, voir un jugement en bon et du forme, pour refermer proprement la blessure. Résultat, on se retrouve avec encore plus de violence, de sang et une plaie ouverte.

Je continue de détester encore les gens qui hashtag, les gens qui changent de photo de profil, les gens qui postent, les gens qui pleurent, les gens qui.

Une marche est organisée le dimanche en l’honneur des récents morts, en l’honneur de la liberté d’expression, en l’honneur de la guerre contre le terrorisme. Tout ça me semble bien abstrait.

Fin du récit :

Dimanche, des millions de personnes se réunissent à Paris, dans les villes de province françaises, dans les grandes capitales du monde.

Paris est bloqué, les masses affluent.

Certains politiques s’accaparent l’évènement pour leur parti, pour leur compte, pour leur image, pour leur gloire.

C’est beau.

Les photographes en herbe, les photographes pro, les photo-journalistes rejoignent le mouvement, pour s’exercer et gagner leur pain.

Tout ça c’est toujours plein de bons sentiments. Les gens y sont pour sortir de chez eux, pour suivre la foule, pour voir ce que ça donne tant de monde réunis, pour montrer leur soutien aux familles affectées, pour soutenir une cause, pour saluer le travail de la police, pour dire qu’ils sont Charlie, pour soutenir la liberté d’expression, pour se lever contre la censure religieuse, pour dire non au terrorisme, pour dire oui à la liberté d’expression, pour crier “Vive la République”
Pour dire non au terrorisme…
Pour dire oui à la liberté d’expression…

Je.

Pourquoi pas. Je n’ai pas le monopole du bon sens, mais j’ai quand même des doutes. Je reste loin de ça, me sentant d’un seul coup propulsé hors de cet émotion.

Post-fin du récit :

Lundi, au travail, on demande à l’autre si il est allé à la manifestation. Non.

Mardi, les esprits commencent à oublier l’histoire.

Mercredi, la nouvelle édition de Charlie Hebdo se vend par millions. Comparé aux chiffres des dernières années, c’est une explosion pour eux. Tout le monde se sent effectivement encore un peu Charlie.

Jeudi, de moins en moins de liens, de posts, de tweets, d’images, d’articles en rapport avec Charlie Hebdo.

C’est ici qu’on se pose des questions. Qu’est-ce qu’on va vraiment retenir de toute cette affaire ? A même pas une semaine de l’évènement, le monde commence à oublier, les engagements de certains diminuent déjà, les positions d’autres changent pour revenir à leur naturel, les discours retournent à leur normale, leur amour pour l’un s’efface, la compassion pour l’autre s’atténue.

Tout est oublié.

Les gens auront acheté une fois Charlie Hebdo, la semaine d’après, plus rien.

Les gens auront aimé les policiers, la semaine d’après, plus rien.

Les gens auront eu de la compassion pour son prochain, la semaine d’après, plus rien.

Les gens auront été avec leur gouvernement, la semaine d’après, plus rien.

Les gens auront été contre la censure, la semaine d’après, plus rien.

Les gens auront été Charlie, la semaine d’après, plus rien…

Certains croient au complot. Moi aussi j’y crois. Mais à un complot qui réunirait tout le peuple français. Mais je crois que ça n’a pas tout à fait marché. Enfin ça a duré quelques heures, pas plus.

Un condamné sur Internet

Ce qui est bien avec Internet, c’est que tu peux raconter à peu près tout et n’importe quoi, il y aura toujours des mecs (cons ?) pour te lire et te croire.

Un condamné (sur twitter et tumblr) a ouvert un blog qui décrasse les claviers de la webosphère et bientôt fera sans doute couler l’encre des médias traditionnels. Cet ingénieur à la vie plus que normal apprend par son médecin qu’il ne lui reste plus que quelques 30 jours à vivre. Premier réflexe, il va blogguer. Je me joins à Orelsan et je me dis que “Plus Rien Ne M’Etonne”. Pourquoi pas.

Bref. Le mec a donc lancé un tumblr pour raconter ses supposées derniers jours et ouvert un compte twitter pour communiquer la venue de ses articles. Plusieurs choses me frappent et me poussent à penser que personne n’est condamné, du moins pas l’écrivain derrière ces articles un peu voyeuriste et assez mal écrit. Tout comme moi, sur twitter les avis penchent plus pour le #fake.

Premièrement, l’adresse du blog me paraît trop bien choisie pour ne pas être le coup de quelqu’un qui s’y connaisse en e-communication. Moi si j’avais été à sa place, j’aurais plutôt choisi quelque chose comme “jesucedesinfluenceurspourdesRT.tumblr.com” ou “lamortdemonanonymatdans30jours.tumblr.com”, ou utiliser un pseudo du genre “dantedu21emesiecle.tumblr.com” ou “gotik30.tumblr.com”. Ok, le mec fait genre de faire des références à des livres qu’il a lu dans son adolescence… Mouais. Pourquoi pas.

Deuxième chose un peu gênante, qui a déjà été expliqué dans d’autres blogs, son compte twitter qui ne suit que 20 autres comptes. 20. Déjà, c’est un chiffre rond. Première singularité. Ensuite, ces 20 followings sont des grands influenceurs du web, des comptes de journalistes ou de journaux.

Je répète que t’es en train de mourir. T’as envie de suivre des journaux encore ? T’as encore envie de te faire influencer par ces gros comptes twitter ? T’as personne d’autre à écouter dans la vraie vie ? Est-ce que t’as même envie de suivre quelqu’un d’autre ? Lire la vie d’un autre tandis que la flamme de la tienne s’estompe inlassablement ? Je ne suis pas à la place d’un condamné, mais je pense que la réponse correcte à ces questions est unique et sans appel : non.

Autre chose un peu qui me rend perplexe quant à la sincérité de la démarche opérée par cet homme. L’ingénieur de son état dit diriger une vingtaine de personne sur, j’imagine, de lourds projets dans une grande société. Apparemment, ses patrons et toute l’entreprise, ses 20 hommes sous ses ordres compris, s’en foutent complètement de le savoir absent. Il devait être inutile au bon fonctionnement de la compagnie. Personne ne l’a appelé le 1er jour de son absence. Le deuxième, il annonce à sa secrétaire qu’il sera absent un mois sur ordonnance de son patron. Voilà. Boum affaire réglée, passons à autre chose, tout le monde dans sa boîte s’en fout. Pourquoi pas… Mais j’ai un peu l’impression de me retrouver dans un film américain ou tout se passe bien au début, au milieu et même à la fin.  D’ailleurs d’autres blogs aussi circonspects que je le suis se sont fait la même remarque à ce sujet, bien avant moi.

Tant qu’on y est parlons du fond et de la forme de ses articles.

Le thème du tumblr est celui imposé par défaut. Sans doute montrer pour l’amateurisme dans l’internet que l’auteur tente de souligner dans ses textes. En effet, il explique bien que cette histoire de blog est une idée de son fils, de même pour le twitter que son fils lui a créé.

Le thumbnail du blog est une “oeuvre” de Banksy : fille avec un ballon rouge en forme de coeur. Je ne sais pas si c’est une preuve de mauvais gout ou pas. Moi je trouve ça has-been, mais bon. Et puis, je rappel quand même qu’il va clamser. Il s’est fait chier à mettre cette putain d’image en photo de profil sur son tumblr… Ah, attends, j’oublie que c’est “son fils” qui a tout configuré. Il est sympa ce ptit fiston.

Passons aux articles qui sont visuellement agréables à lire. Clairs et bien espacés, les textes ne sont pas d’indigestes et lourds pavés. Le thème minimaliste aide aussi un peu, je pense. Cependant, le fond des textes sont souvent affligeants et très peu pertinents pour quelqu’un qui va mourir.

C’est là que je doute clairement de l’authenticité de toute cette mascarade.

On se retrouve parfois, souvent dans des dialogues et des scènes de films américains. Je l’ai déjà dit, je sais. Mais je vais appuyer ma pensée par quelques exemples.

Dans l’article du Jour 4, il parle des livres de sa bibliothèque et explique la relation qu’il a avec. Il les contemple et soupire “J’en ai vécu des vies grâce à vous“… Avez vous déjà vu quelqu’un sortir des phrases aussi clichées dans la vraie vie à part pour faire des blagues ? Puis il donne son avis sur le livre électronique. Très peu pour lui, dit-il… Étrange réflexion pour un mourant. Pourquoi pas.

Article Jour 2 : “Au fond, c’est logique, moi je ne serai pas là pour souffrir de mon absence

Je souffre pour lui de sa niaiserie.

Les textes sont bourrés de phrases à la Marc Lévy du genre “J’ai 58 ans et je n’en aurai jamais 59“.

Il ne faut pas trop entrer dans le contenu des textes qui ont l’air d’avoir été écrit par un élève de première année de fac de lettre encore tout barbouillé du placenta de sa mère. “Hier encore, j’avais toute la vie devant moi“.

Les phrases sont courtes, ne dépassent pas les 10 mots. En revanche, on ne lui reprochera pas d’employer beaucoup de mots de trois syllabes ou plus. J’ai un langage plutôt châtié dans la vraie vie, mais je trouve que le sien semble assez forcé. Pour faire des belles phrases qu’on peut ressortir dans les dîners mondains ou plutôt autour de la machiné à café pendant la pause de 10h ou en statut Facebook. Ou pour des ruptures. “Je pense que je ne réalise pas encore. Je dois être sous le choc

Enfin bon bref, ça pue le gros coup marketing. C’est bien joué de la part de la marque, ils auront réussi à faire parler d’eux. Mais à mon avis ils vont se prendre une grosse claque dans la gueule lorsqu’ils se dévoileront.

Les français ne sont pas près à jouer avec la mort et le malheur des autres encore. Regardez l’histoire de Mickael Youn il y a quelques années qui avait crier au vol et au cambriolage pour finalement annoncer que ce n’était qu’un coup de pub pour une marque de poker en ligne. Tout le monde leur est tombé sur la gueule. Il a été détesté.

On va assister au même schéma avec ce tumblr.

Mais on peut aussi penser que ce tumblr est tout à fait légitime. Après tout, je l’ai assez répété tout au long de ce post, mais pourquoi pas… Nous n’avons jamais été à la place du mourant encore, on ne sait pas comment on doit penser dans ces moments là.